Ils brillent sur scène, empochent des cachets impressionnants, puis, peu à peu, disparaissent dans l’ombre, parfois sans rien. Cette réalité, trop souvent ignorée dans l’industrie culturelle guinéenne, a été décrite avec franchise par l’humoriste Elhadj Aboubacar Camara, alias Grand Devise. Dans un entretien accordé à nos confrères du site Ledjely.com, il lève le voile sur ce qu’il qualifie de dérive préoccupante du showbiz local.
Une carrière éclair, une chute brutale
« Ils brillent le temps d’un concert, encaissent des millions, puis sombrent dans l’oubli et la misère. » Cette phrase d’ouverture résume la trajectoire météorique de plusieurs artistes guinéens. Grand Devise décrit une scène où la flambée de popularité n’est ni préparée ni accompagnée, et laisse derrière elle des carrières brisées.
L’absence de stratégie et l’illusion de l’abondance
Le constat est sans appel : “Beaucoup d’artistes n’ont ni accompagnement ni vision à long terme. Résultat, ils claquent leur argent comme s’il était infini”. À travers cet avertissement, l’humoriste souligne le vide de structuration dans un écosystème où le buzz remplace bien souvent la gestion.
Le succès comme fracture sociale
Grand Devise insiste : “Tout commence avant et après le concert. L’artiste est logé à l’hôtel pendant des semaines. Après le show, on lui remet 300 millions de francs guinéens dans sa chambre. Et là, tout bascule”, Cet argent, soudainement disponible, devient un piège. L’artiste coupe avec ses anciens amis, s’éloigne de ses fans, et se constitue un entourage superficiel. Une nouvelle posture sociale, nourrie par l’orgueil et la pression du statut, selon les termes rapportés, déplore t-il.
Un nouveau cercle aux motivations intéressées
“Il évite tout le monde, même ses fans. Il se fait entourer par des agents de sécurité, alors que ce sont justement ses amis et ses fans qui ont fait de lui une star”, poursuit-il. Ces propos, mettent en lumière une rupture humaine souvent irréversible. L’artiste se coupe de ses racines, au profit d’un cercle social dont la loyauté est conditionnée par son niveau de fortune.
Une gestion désastreuse des revenus
L’un des cas concrets évoqués par Grand Devise, est celui d’un artiste ayant reçu 300 millions GNF. Selon Ledjely.com, Grand Devise détaille : 20 millions pour une avance de location, 60 millions pour un an de loyer, 10 millions pour des travaux, 70 millions pour meubler. Soit 140 millions dépensés dans une maison… louée. Aucun investissement dans un bien durable. L’exemple illustre une mauvaise priorisation, et l’incapacité à construire un socle de sécurité économique.
Le poids du paraître et l’endettement
La suite est tout aussi révélatrice. L’artiste, toujours se laisse convaincre d’acheter une Land Cruiser à 150 millions. Il n’a plus que 98 millions, mais paie 50 millions d’avance, en espérant régler le reste plus tard. “Il quitte l’hôtel avec seulement 38 millions restants… et une dette de 100 millions”, rapporte Grand Devise.
Le retour brutal à la réalité
Un an plus tard, l’issue est cruelle. Le succès s’effondre, les appels ne viennent plus, les courtisans disparaissent. L’artiste est ruiné. “Il doit quitter sa villa pour retourner en banlieue, sans avoir investi dans une maison ou dans l’avenir de ses enfants”, confie Grand Devise. Malade, isolé, il devient un sujet d’appel à l’aide sur les réseaux. “L’État tarde, et tout le monde critique”, conclut-il avec amertume.
Les relations sentimentales, un autre terrain miné
Dans le même entretien, Grand Devise rapporte une anecdote particulièrement éloquente. Grand Devise décrit comment une jeune femme, autrefois distante, se montre subitement amoureuse après un concert. Elle reçoit un iPhone de 15 millions, puis 8,4 millions pour un logement, et accumule des dépenses jusqu’à soutirer 34,4 millions GNF à l’artiste. “Résultat : il ne lui reste plus que 95 millions”, commente l’humoriste. Derrière la séduction, une forme d’exploitation déguisée.
Un appel à la lucidité
Dans cette prise de parole poignante, Grand Devise conclut sur une note de mise en garde. “Le succès ne dure pas. Il faut savoir gérer, rester humble, investir dans l’essentiel”, exhorte-t-il. Un message adressé à toute une génération d’artistes, mais aussi aux décideurs et acteurs culturels, pour repenser l’accompagnement et la responsabilisation.
Mariame Savané