De Conakry aux plateaux africains : Ismaël Sylla, le chef opérateur guinéen derrière plusieurs séries africaines à succès
Il a troqué le micro pour la caméra, les mots pour la lumière. Ismaël, jeune Guinéen passionné d’image, s’impose aujourd’hui comme l’un des chefs opérateurs les plus sollicités de la scène audiovisuelle ouest-africaine. De Marodi à Oxygen Africa, il façonne les visuels de séries à succès tout en portant un regard critique et engagé sur l’avenir du cinéma guinéen. Rencontre avec un artisan de l’ombre qui éclaire les récits.
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Generations224.info : Vous avez débuté comme journaliste à Guinee7.com. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la caméra et à vous tourner vers le métier de l’image ?
Ismaël : J’ai eu la chance de grandir dans une famille passionnée de cinéma local. Ce n’était pas la technique qui me fascinait à l’époque, mais la capacité des acteurs à émouvoir, à transmettre quelque chose de profond. Cette sensibilité m’a naturellement conduit vers l’audiovisuel. Quelques années plus tard, une formation en photographie de cinéma m’a permis de confirmer cette vocation. Après plusieurs expériences sur des plateaux notamment celui du long métrage Saloum, où j’ai été premier assistant caméra, j’ai découvert ma vraie passion : être chef opérateur image. Ce métier m’ouvre aujourd’hui des portes incroyables. Je rencontre des personnes, des cultures et des histoires peu connues mais d’une richesse immense. Des récits qui méritent d’être racontés.
Aujourd’hui, vous travaillez en freelance avec plusieurs maisons de production comme Marodi, Oxygen Africa ou Gorée Cinéma. Qu’est-ce que cela vous apporte en termes de liberté et de créativité ?
Ismaël : Cette liberté me permet de choisir des projets qui résonnent avec mes convictions et qui font avancer ma carrière. Avec Marodi.tv, je travaille sur des séries longues de 50 épisodes;un défi exigeant qui m’a appris l’endurance et l’adaptabilité. Chez Oxygen Africa, qui se spécialise dans les films publicitaires pour de grandes marques, je découvre d’autres formats, plus courts, réalisables en deux ou trois jours de tournage. C’est très formateur. Le fait de ne pas être lié par un contrat d’exclusivité me permet de garder cette diversité et cette liberté de création, indispensables à mon équilibre.
En tant que chef opérateur, quel est votre rôle sur un plateau, et comment collaborez-vous avec les réalisateurs et les autres techniciens ?
Ismaël : Pour moi, une esthétique visuelle bien pensée transforme le spectateur en un observateur actif, capable de percevoir toute la rigueur et l’intention derrière chaque plan. En tant que chef opérateur image, je construis l’identité visuelle du film tout en servant l’histoire. Je veille à une cohérence visuelle forte du début à la fin. Je travaille étroitement avec le réalisateur, qui garde le dernier mot sur les choix artistiques. Avec les chefs électro, le décorateur et l’équipe de stylisme, nous synchronisons nos actions pour créer une image homogène, puissante et techniquement irréprochable.
Quelle est, selon vous, la différence entre une belle image et une image réussie dans une série ou un film ?
Ismaël : Ellen Kuras a une phrase que j’adore : « Il faut que les images aient un sens. Elles doivent raconter une histoire. » Elle l’a affirmé alors qu’elle collaborait avec Spike Lee sur 4 Little Girls. Une belle image peut être techniquement parfaite et agréable à l’œil, mais vide de sens. À l’inverse, une image réussie peut être imparfaite esthétiquement, mais porteuse de narration, d’émotion, de message. C’est ce que je recherche toujours : une image qui raconte, qui parle. Je préfère cent fois une image expressive à une image simplement jolie.
Le cinéma guinéen est encore en phase de structuration. Qu’est-ce qui manque, selon vous, pour que des techniciens comme vous puissent mieux s’épanouir dans le pays ?
Ismaël : Pour être honnête, quand on parvient à se faire un nom à l’étranger, revenir travailler en Guinée relève presque du rêve. Le pays m’a vu naître et grandir, mais les opportunités pour des techniciens y sont très limitées. Il manque surtout des structures, des plateformes de rencontres professionnelles, des projets concrets où nos compétences peuvent s’exprimer. La Guinée regorge de talents. Il ne manque que les moyens et la volonté de créer un écosystème durable.
Vous verriez-vous un jour passer de l’image à la réalisation ou à la production ? Avez-vous des projets personnels en cours ?
Ismaël : La réalisation ? Très peu pour moi. J’ai un profond respect pour ceux qui s’y consacrent : diriger des comédiens dans des scènes émotionnellement chargées demande un sang-froid et un leadership que je n’ai pas encore. Je suis parfois un peu trop impatient. En revanche, oui, j’ai un projet personnel en gestation. Un projet ambitieux que je développe dans l’ombre, avec pour objectif de l’ancrer en Guinée. L’idée, c’est d’offrir aux jeunes créateurs un espace où ils pourront se consacrer pleinement à leur art, sans être freinés par les contraintes techniques.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes Guinéens qui rêvent de se lancer dans les métiers de l’image et de l’audiovisuel ?
Ismaël : Le monde évolue, et l’avenir appartiendra aux esprits créatifs. Le modèle classique du travail ne fait plus rêver. À ceux qui veulent s’investir dans l’image, je dis : lancez-vous, expérimentez, créez ! Mais faites-le en connaissance de cause : c’est un métier aussi passionnant que précaire, qui ne garantit pas le confort, mais offre une formidable liberté d’expression. Il faut de la passion, de la discipline, et une vraie envie de raconter le monde à travers votre regard.
Entretien réalisé par Alpha Camara