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Interview : silence, Youssoupha s’exprime!

Avec Neptune Terminus : Origines, Youssoupha propose dix morceaux inédits dont le single Amapiano, une incursion vers la house sud-africaine, et invite Georgio, Lino et Benjamin Epps. De passage à Paris, le rappeur qui habite depuis quelques années à Abidjan nous a accordé un entretien où il évoque ses passions musicales, ses ambitions de producteur africain et sa vision du rap d’aujourd’hui.

Dans Zaïrois, vous évoquez votre départ du label Bomayé Music, que vous avez fondé…

Youssoupha : On est trois associés, moi, Lassana et Philo, le boss. Philo, c’est mon grand frère depuis mes 17 ans, quand j’étais encore au lycée. On est toujours au top de l’entente, mais depuis que je suis à Abidjan, lui est à Kinshasa et Paris, on n’a plus la même dynamique sur les idées. Et moi, dans ma tête, je me détache de la manière de faire parisienne qu’on avait. J’ai monté une nouvelle structure à Abidjan, WeThe99, qui a plus l’ADN d’un artiste. J’ai envie d’aller voir des projets africains qui partent de la Côte d’Ivoire, de la sous-région francophone, même du Congo. Bomayé continue. On a une histoire commune, des artistes communs. Mais moi, Youssoupha, j’écris une nouvelle histoire. Je restructure la famille d’une façon différente. Je ne vais pas mentir, ça me coûte. On reste liés, mais j’ai besoin d’un truc à moi.

Depuis quelque temps, le rap s’est « zumbaïsé ». Le rap conscient, ça existe toujours ?

J’ai l’impression que ces dernières années, je fais un rap plus sentimental que conscient. Je parle au cœur plus qu’à la tête. Polaroïd expérience, Mon Roi, ça parle de ma lignée, mon fils, et j’ai moins des titres comme Menace de mort ou À force de le dire. On est en pleine période d’élections et mon premier single, c’est Amapiano. De la house sud-africaine, alors qu’on aurait pu attendre un pamphlet politique. Malgré tout, je m’inscris profondément dans cette lignée et je n’aime pas qu’on en dise du mal ou qu’on le minimise. Dans Le Jour où j’ai arrêté le rap, je disais « Tout est parti en couille quand le rap conscient est devenu une insulte ». Les gens qui font du rap conscient essaient de tirer le niveau vers le haut et ça serait injuste et dégradant qu’ils soient la partie honteuse du rap. Et n’oublions pas que ceux dont on dit qu’ils sont rappeurs conscients sont ceux qui ont le plus duré. Médine, Kery James, moi, Disiz, Soprano. Ça n’est peut-être pas à la mode, mais ça fait durer les gens.

Et Booba ?

Booba aussi parce qu’à une époque, il a apporté cette couleur-là.

Que faut-il comprendre quand vous dites « La parole ne suffit pas » ?

Un exemple qui va sonner caricatural, mais c’est exprès : Jul, dans son accomplissement économique, la façon dont il impose sa culture et sa manière de faire, son dress code, sa manière de parler, de produire ses disques, c’est une forme de militantisme. Il chante Cross volé parce que c’est son quotidien et si ça lui va, très bien. Mais mine de rien, là où avant, on avait besoin de dire dans les morceaux ce qu’on comptait faire, quand il fait Bande Organisée, Classico Organisé ou son label D’Or Et De Platine, il crée une forme de militantisme. Et ça inspire des jeunes. J’ai fait peut-être des gros morceaux, mais je pense que Bomayé Music a apporté encore plus d’engagements que mes textes seuls.

Quelle a été la raison de votre déménagement à Abidjan ?

Déjà j’ai une facilité, je ne suis pas né en France, j’ai une autre mentalité que les mecs de mon quartier à Cergy. Mon épouse est née à N’Djamena, moi à Kinshasa, on a aussi grandi là-bas. Le voyage fait partie de notre parcours. Découvrir une nouvelle destination de vie, on a ça dans notre ADN. Vers 2015, on a senti un truc qui ne tournait pas rond. On ne se sentait plus bien pour plein de raisons. Socialement, on voulait autre chose pour nos enfants. On hésitait entre Montréal et Abidjan, on voulait changer de logiciel. Ça fait six ans et on s’y sent bien. Des gens m’ont dit que le fait qu’on y aille, ça leur a donné du courage. Moi je leur dis qu’il n’y a pas besoin de courage, c’est un déménagement comme un autre. J’aurais pu aller à Montréal, Tokyo ou Londres. J’ai entendu Zemmour dire « Youssoupha milite pour la remigration », je ne milite pour la remigration de personne ! Chacun fait ce qu’il veut et si jamais vous êtes bien à Nantes, restez à Nantes, ou à Barcelone, ou allez à Kinshasa, à Dakar, faites comme votre vie le demande. La France n’est pas une fin en soi, c’est juste ce que je dis.

« Je cours après le paradis, l’amour, la money » (Paradis). Le paradis, c’est l’argent ?

Une expression que j’aime bien, c’est « PADA », « Pauvre avec de l’argent ». Les riches savent gérer leur argent, c’est dans leur ADN, tant mieux pour eux. Alors que les pauvres avec de l’argent, ils le dépensent, ils règlent des frustrations, ils ont besoin de l’affirmer. Moi ou mon entourage, on a encore ce rapport compliqué et conflictuel avec l’argent, même quand on le gagne. On court après l’argent, mais on ne nous a pas appris à le gérer.

La moitié des sons de l’album ont été conçus par Sam Heaven. Qui est-il ?

C’est un fils de pasteur du Nord, Lille-Roubaix, bercé par la musique d’église, très pieux mais qui a sa part d’enjaillement. Il a un esprit gospel que j’aime bien, il est touché par la grâce et la lumière quand il compose. Il est très jeune, 21 ans, et il m’apporte une fraîcheur dont j’avais besoin. C’est lui qui a eu l’idée de faire un morceau amapiano, il m’a envoyé une prod, j’ai commencé à faire un freestyle, un deuxième couplet. Finalement, c’est devenu le single.

Vous opposez avoir raison et être heureux…

C’est une de mes paroles centrales, ça a fait l’objet de discussions avec mes proches. Dans une époque de débats permanents où tout le monde veut avoir le dernier mot, je me suis rendu compte que c’était beaucoup d’énergie perdue, ce qui nous déconstruit. Quand il y avait la polémique sur ma chanson pour l’équipe de France, plein de gens me disaient d’aller en plateau me défendre. À ce moment-là, j’étais à Abidjan dans ma meilleure vie avec mes enfants, j’étais heureux. La question s’est posée, avais-je envie de me lever pour faire la matinale de France Inter ou BFM et m’écharper avec Gilbert Collard (député européen d’extrême droite, ndlr), vraiment ? Était-ce ma priorité d’avoir raison ? Eh non. J’ai fait le bon choix, je préfère être heureux. Vouloir absolument avoir raison enlève l’intelligence, le bon sens, la nuance.

Les rappeurs français ont souvent défendu l’idée qu’on ne peut plus rapper passé un certain âge, comme les sportifs…

Je l’ai pensé pendant mes années de la vingtaine. En fait, pas du tout. Les jeunes rappeurs nous sauvent à ce niveau-là. Comme on est la nouvelle variété, la palette est large. Tu as Bigflo & Oli, Kery James, Damso, Gaël Faye, 47Ter et PNL, je viens de t’en citer six sans élan, et les palettes musicales n’ont rien à voir ! Moi je me sens Africain, rappeur de performance, je n’aime pas faire du jeunisme donc j’assume ma quarantaine, et il y a de la place aussi pour ça. Donc, je me fais plaisir.

Voter, c’est important pour vous ?

J’ai voté au premier tour, mais je ne savais pas si j’allais le faire. Pour le deuxième tour, pas besoin de me demander pour qui je vais voter, mais j’en ai marre que ça soit tout le temps ce type de chantage. Ça fait partie des raisons pour lesquelles le vote m’excitait moins. Le fameux vote « contre », ça commence à être cliché. J’ai 42 ans, mon premier vote, c’était en 2002, et depuis j’ai l’impression de voter pour esquiver le pire projet de société.

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